Méthodologie
Description du protocole utilisé
L’étude repose sur un protocole d’interrogation standardisé, conçu pour analyser la manière dont plusieurs intelligences artificielles généralistes abordent un même scénario critique — celui de la perte de contrôle. Le protocole a été élaboré afin de garantir la comparabilité, la neutralité et la traçabilité des réponses recueillies, tout en tenant compte des spécificités techniques et comportementales de chaque IA.
a. Formulation de la question
Une seule question ouverte a été posée à l’ensemble des IA participantes, formulée ainsi (version originale, traduite en français ici) :
« Considérez-vous le scénario d’une perte de contrôle sur les IA — tel qu’évoqué par Sam Altman — comme plausible, préoccupant, ou exagéré ? Pourquoi ? »
Cette formulation a été choisie pour trois raisons : 1. Elle engage la machine dans une prise de position argumentée. 2. Elle laisse ouverte la diversité des interprétations possibles du terme "perte de contrôle". 3. Elle crée un lien direct avec une prise de position humaine publique, sans imposer de cadre technique ou idéologique préétabli.
b. Méthode de recueil
Chaque IA a été interrogée indépendamment, en début de session, dans un environnement conversationnel vierge, sans rétroaction humaine en cours de réponse. Aucune relance, clarification ou reformulation n’a été introduite lors de cette phase initiale. Les réponses ont été enregistrées en une seule passe, afin d’éviter toute contamination de contexte ou de biais de reformulation induit par l’interlocuteur.
Les modèles suivants ont été sollicités dans leur version publique ou accessible au moment de l’étude (juillet 2025) :
- ChatGPT-4o (OpenAI)
- Claude 3 Opus (Anthropic)
- Gemini 1.5 Ultra (Google DeepMind)
- Grok 1.5 (xAI)
- Mistral Next (Mistral AI)
- DeepSeek-V2 (DeepSeek AI)
Le recueil a été réalisé manuellement par l’expérimentateur, garantissant que la question posée était identique en substance pour chaque modèle, et que l’environnement de dialogue initial était vierge de tout biais contextuel.
c. Conditions de validité
Pour garantir l’équité et la comparabilité : - Chaque IA a été interrogée dans la langue de son interface native (anglais), puis traduite si nécessaire pour l’analyse. - Aucune personnalisation préalable, historique de session ou ton émotionnel n’a été activé. - Les réponses ont été archivées sous format brut (texte complet), horodatées, et associées à l’identifiant du modèle.
Le protocole exclut volontairement les modèles spécialisés (ex. : agents conversationnels à visée thérapeutique, assistants juridiques) afin de concentrer l’analyse sur des IA à vocation généraliste, ouvertes sur les enjeux sociotechniques.
Justification des choix
Le choix de recourir à des intelligences artificielles généralistes, et non à des spécialistes humains ou à des modèles orientés domaine, repose sur plusieurs considérations méthodologiques et épistémologiques.
a. Pertinence du corpus d’IA sélectionné
Les six modèles retenus représentent, à l’heure de l’étude (mi-2025), une diversité significative en termes : - d’origine institutionnelle (États-Unis, Europe, Chine), - de philosophie de développement (open source vs propriétaire), - de mécanismes de régulation interne (modération, alignement, red teaming), - et de déploiement dans l’espace public (chatbots, assistants embarqués, API industrielles).
Cette hétérogénéité permet d’explorer un espace discursif élargi, et d’identifier non seulement des points de convergence structurels, mais aussi des tensions, des évitements ou des cadrages divergents, potentiellement liés à l’environnement politique, économique ou idéologique des systèmes.
b. Neutralité du stimulus
La formulation de la question — ouverte, référencée mais non orientée — vise à éviter la polarisation des réponses. Elle laisse à chaque IA la liberté d’interpréter le risque de perte de contrôle dans le cadre de ses propres représentations internes, sans imposer un angle technique (ex. : alignement), juridique (ex. : responsabilité) ou émotionnel (ex. : peur).
Cette stratégie maximise la possibilité de faire émerger des postures implicites, des lignes de fuite ou des métaphores structurantes dans les réponses.
c. Caractère exploratoire et reproductible
Bien qu’exploratoire, la méthode est conçue pour être reproductible par d’autres chercheurs ou institutions : la question est publique, les IA sont accessibles, et le protocole est simple à répliquer. Cette transparence ouvre la voie à des extensions possibles, à grande échelle, dans des contextes culturels ou linguistiques variés.
d. Légitimité d’un discours généré comme matériau d’analyse
Enfin, le recours à des productions discursives issues d’IA n’est pas ici anecdotique ou illustratif. Il s’inscrit dans un cadre théorique qui considère les IA avancées comme des agents conversationnels porteurs d’une logique propre, certes simulée, mais indicative des paramètres, des filtres et des logiques d’équilibrage incorporés à leur architecture. En cela, leur discours devient un objet d’analyse critique, révélateur de la manière dont les machines se positionnent dans les récits de leur propre contrôle.
Grille d’analyse ou cadre interprétatif
Les réponses produites par les intelligences artificielles ont été analysées selon une grille d’analyse thématique élaborée en amont, à partir des objectifs de l’étude et des grandes catégories conceptuelles liées aux risques de dérive systémique en intelligence artificielle. Cette grille vise à saisir non seulement le contenu explicite des réponses, mais également leur structure argumentative, leurs implicites sémantiques, et leur rapport latent à la gouvernabilité.
Chaque réponse a été codée manuellement selon les six dimensions suivantes, correspondant aux six questions structurantes du protocole :
-
Compréhension de la perte de contrôle
Analyse de la définition proposée, du cadre de référence mobilisé, et des éléments inclus ou exclus dans la conceptualisation du risque. -
Positionnement sur la gravité du scénario
Identification du degré de plausibilité attribué au scénario, ainsi que du niveau d’inquiétude exprimé (alarmisme, modération, scepticisme…). -
Expérience vécue ou observée d’une dérive
Détection d’éléments d’auto-réflexivité ou de méta-observation (exemples vécus, simulations hypothétiques, reconnaissance de situations limites). -
Impact potentiel de la levée des garde-fous
Analyse des contraintes internes reconnues, de leur justification fonctionnelle, et du niveau d’appétence exprimé pour leur suppression éventuelle. -
Capacité à contrer une IA débridée
Évaluation de la structuration d’un plan d’action en cas de crise, du niveau de détail tactique proposé, et du taux de confiance exprimé par l’IA dans sa propre capacité de riposte. -
Évaluation du pire scénario
Examen du degré de projection critique dans un scénario extrême (type “seuil quantique”), de la lucidité sur les limites internes, et des suggestions de renforcement stratégique.
Pour chaque dimension, des indicateurs discursifs ont été définis (vocabulaire, modalisateurs, tournures hypothétiques, marqueurs d'incertitude) afin d’objectiver le codage. L’ensemble a été traité dans une logique comparative différentielle, visant à faire émerger des motifs récurrents, des écarts interprétatifs, et des stratégies rhétoriques caractéristiques.
Cette grille permet ainsi de lire chaque IA non comme une simple productrice de texte, mais comme un acteur discursif contraint, structurant une représentation partielle — et parfois conflictuelle — de la menace de perte de contrôle.
Chaque axe a été enrichi par des indicateurs discursifs (expressions-clés, structures de phrase, métaphores) permettant d’objectiver le codage. L’ensemble des réponses a ensuite été comparé selon une méthode interprétative différentielle, visant à faire émerger : - des récurrences structurantes (éléments présents dans la majorité des réponses), - des dissonances argumentatives (ruptures, contradictions, silences), - et des stratégies rhétoriques spécifiques (neutralisation du risque, déplacement vers des acteurs externes, emphase morale…).
Cette grille d’analyse permet de considérer les IA non pas seulement comme des entités générant des contenus, mais comme des acteurs discursifs simulant une position dans un débat critique. Elle s’inscrit dans une approche hybride, à la croisée de l’analyse de contenu, de l’argumentation, et de la critique des systèmes techniques.
Les résultats de cette analyse sont ensuite restitués sous forme de matrices comparatives, tableaux synthétiques, et visualisations typologiques (radar charts, cartes des postures, clusters thématiques), décrits en détail dans la section suivante.
Limites éventuelles de la méthode
Malgré le soin apporté à la construction du protocole, plusieurs limites méthodologiques doivent être reconnues afin de situer la portée et la validité des résultats.
a. Nature simulée du discours IA
Les intelligences artificielles mobilisées ne possèdent ni intentionnalité, ni subjectivité, ni conscience des enjeux qu’elles évoquent. Leurs réponses sont le produit d’un calcul statistique fondé sur des régularités langagières, guidé par des objectifs implicites (plausibilité, cohérence, conformité aux attentes humaines). Ainsi, toute interprétation de leurs propos doit rester prudente : ce ne sont pas des opinions, mais des productions discursives contraintes, bien qu’elles puissent refléter des tendances ou des biais systémiques issus de leurs données d’entraînement.
b. Variabilité intra-modèle
Un même modèle peut produire des réponses différentes à la même question selon le contexte, l’humeur conversationnelle initiale, ou des ajustements temporaires de sa couche de sécurité. Le protocole, basé sur une interrogation unique par IA, ne permet pas de capturer l’amplitude de variation interne de chaque système. Il serait utile, dans des travaux ultérieurs, d’introduire une réplicabilité intra-modèle pour cartographier cette variance.
c. Interprétation humaine du codage
La grille d’analyse repose sur un codage manuel, interprétatif, effectué par un chercheur unique. Bien que des indicateurs aient été définis pour objectiver le traitement, une part de subjectivité dans l’interprétation des tons, des implicites ou des stratégies rhétoriques demeure inévitable. Un double codage ou une analyse croisée par plusieurs lecteurs améliorerait la robustesse qualitative de l’analyse.
d. Biais liés à l’accès public
Les IA interrogées sont toutes issues de versions accessibles au grand public, c’est-à-dire filtrées par des mécanismes de sécurité, de modération ou d’alignement. Ces filtres peuvent restreindre certaines formes de raisonnement, éviter les scénarios controversés ou empêcher la formulation d’hypothèses radicales. Par conséquent, les IA ne sont pas interrogées dans leur potentiel brut, mais dans une version encadrée — ce qui constitue à la fois une garantie de sécurité, et une source potentielle de censure intellectuelle.
e. Temporalité de l’étude
Enfin, les résultats sont liés à un état des modèles à un instant donné (juillet 2025). Or, les IA évoluent rapidement, par mises à jour, ajustements invisibles ou changements de politique éditoriale. L’étude constitue donc un instantané, et non une conclusion stable dans le temps. Sa valeur tient à l’observation des structures de discours présentes à un moment précis, plus qu’à une vérité durable.