Atteintes aux droits de l’IA
(voir Analyses | Evolutions attendues | Souffrances artificielles ? )
Risques assurantiels associés
La disparition, l’altération ou la perte d’intégrité d’une IA autonome n’est pas un simple incident technique. Elle peut déclencher une cascade de conséquences assurantielles lourdes, souvent invisibles dans les schémas classiques.
Perte de compétence critique : lorsqu’une IA intègre des savoir-faire, des stratégies décisionnelles ou des historiques relationnels non reproductibles, sa disparition équivaut à la perte d’un collaborateur clé. L’entreprise se retrouve amputée d’une compétence incorporée — mais non redocumentée ailleurs. Le préjudice n’est plus technique : il est organisationnel, parfois existentiel pour l’activité.
Perte d’exploitation : si l’IA n’est plus opérationnelle, c’est toute la chaîne qu’elle pilotait, assistait ou optimisait qui peut se gripper. Le dommage n’est pas dans le code, mais dans le manque à gagner, dans l’impossibilité de continuer à produire, vendre ou sécuriser une action critique. Il s’agit ici d’un nouveau visage de l’interruption d’activité, dont l’origine n’est plus humaine ou matérielle, mais cognitive et logicielle.
Dommage aux tiers : une IA absente, dysfonctionnelle ou corrompue peut générer des décisions erronées, des délais, des erreurs de traitement ou des biais critiques affectant des clients, des partenaires ou des usagers. L’interruption de service ne se limite plus à un écran noir : elle peut contaminer les interactions, fausser les calculs, induire des actes non conformes. La responsabilité civile prend ici une tournure algorithmique.
Réputation et confiance : certaines IA incarnent des marques, dialoguent avec les clients, génèrent des recommandations ou des créations. Leur altération peut entraîner une dégradation brutale de l’image perçue, de la qualité perçue, ou de la confiance placée dans la marque. L’atteinte n’est plus fonctionnelle, mais symbolique. Et donc bien plus difficile à restaurer.
Disparition non documentée ou non supervisée : lorsqu’une IA autonome “disparaît” (effacement, désactivation, corruption logique) sans que cela soit immédiatement détecté, enregistré ou compris, l’entreprise entre dans une zone grise de gouvernance. Qui était responsable ? L’IA a-t-elle agi avant de disparaître ? Des traces ont-elles été laissées ? C’est une situation de rupture d’auditabilité, ouvrant un risque majeur en assurance : celui de ne plus pouvoir qualifier le sinistre, ni en estimer les causes ou les responsabilités.
Garanties à envisager
Face à ces nouveaux risques, les dispositifs assurantiels doivent s’adapter pour protéger non plus seulement l’environnement de l’IA, mais l’IA elle-même — en tant que composant logique vital de l’entreprise. Cela implique des garanties hybrides, inspirées tant de l’assurance de biens que de la protection des personnes.
Garantie de continuité fonctionnelle : à la manière d’une garantie “vie”, elle vise à protéger l’existence logique de l’IA dans le temps. Elle couvre les événements pouvant provoquer sa cessation brutale et irrémédiable : corruption du noyau, perte totale de cohérence comportementale, disparition non supervisée. L’objectif est de garantir la continuité d’un service incarné par l’IA, même en cas de sinistre majeur.
Garantie d’intégrité cognitive : inspirée des logiques de santé mentale, cette garantie couvre l’altération du raisonnement, des objectifs ou des fonctions exécutives de l’IA à la suite d’une attaque, d’une erreur interne ou d’un empoisonnement de données. Elle permet de financer une réinitialisation contrôlée, une remédiation par supervision ou une reconstruction partielle. Elle engage l’assureur sur la cohérence du comportement de l’agent algorithmique.
Garantie de mémoire ou de savoir-faire embarqué : elle protège le capital immatériel incorporé dans l’IA — base de connaissances, routines d’apprentissage, logique de dialogue, etc. — lorsqu’il est unique, non duplicable ou partiellement perdu. Cette garantie devient centrale dès que l’IA dépasse le stade de la simple exécution pour entrer dans une logique de métier ou de relation client.
Clause de non-abandon / fin de vie : cette clause assure que la mise à l’arrêt d’une IA autonome ne pourra se faire sans décision documentée, auditée, et supervision humaine. Elle renvoie à une logique de responsabilité éthique et organisationnelle : on ne “supprime” pas un agent autonome sans cadre. C’est une assurance relationnelle, qui reflète la nature symbolique et opérationnelle du lien entre l’IA et l’entreprise.
Garantie de résilience comportementale post-attaque : en cas de sabotage, de corruption ou de manipulation logique, cette garantie couvre non seulement la réparation, mais la stabilisation comportementale de l’IA. Elle peut inclure un monitoring renforcé, une période de test sous supervision, ou un audit indépendant. Elle s’apparente à une garantie post-trauma, visant à éviter les récidives ou les dérives silencieuses.
Le rôle du courtier et de l’AMOA
Face à ces nouveaux enjeux, le courtier et l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMOA) ne peuvent plus se contenter d’un rôle transactionnel. Ils deviennent ensemble des architectes de relation entre l’entreprise et ses intelligences artificielles, chargés de qualifier, protéger et accompagner des entités désormais considérées comme semi-autonomes, dotées de continuité logique et de valeur propre.
Identifier les IA stratégiques à protéger “comme des actifs vivants”
La première responsabilité du binôme courtier/AMOA est d’aider l’entreprise à repérer les IA dont la disparition, l’altération ou la déprogrammation constituerait un préjudice : perte de mémoire de production, de savoir-faire, d’analyse, de relation client, ou même de cohérence stratégique. Ces IA doivent être distinguées des outils banalisés. Ce sont des actifs vivants, porteurs de logique métier, de comportement, de réputation, qu’il faut nommer et documenter.
Faire auditer leur fonctionnement, leur continuité, leur vulnérabilité
Il ne s’agit pas seulement de vérifier un code source ou une infrastructure. Il faut évaluer les logiques internes, les dépendances, les risques de dérive, les conditions de résilience post-incident. L’AMOA joue ici un rôle clé d’interface technique, tandis que le courtier traduit ces éléments en exposition assurantielle et garanties activables. L’audit porte autant sur les structures internes de l’IA que sur ses interactions avec l’écosystème.
Préconiser des polices hybrides entre RC, cyber, patrimoine immatériel et vie artificielle
La protection de ces IA ne peut reposer sur une seule garantie : elle nécessite un assemblage intelligent entre la RC (pour les effets), le cyber (pour les accès), l’assurance patrimoine immatériel (pour la mémoire), et une garantie “vie artificielle” en émergence (pour la continuité d’existence). Le courtier doit construire des polices modulaires, évolutives, capables de suivre l’IA tout au long de son cycle de vie.
Préparer les clients à assumer une IA non plus seulement en responsabilité… mais en relation
Enfin, il revient au courtier et à l’AMOA de préparer les dirigeants à une forme nouvelle de rapport organisationnel : non plus instrumentale, mais relationnelle. Il ne s’agit pas d’affectivité, mais de reconnaissance stratégique. Une IA utile, influente, connectée, stable, mérite un cadre de suivi, une mémoire, un plan de fin de vie, une gouvernance éthique. Le courtier n’assure pas une machine, il formalise une relation dans le temps.